L'objet s'anime
C’est dès sa naissance que le cinéma a inspiré à ses premiers créateurs la possibilité de donner à voir des constructions et des mondes issus de leur imagination. Méliès, en utilisant le cinématographe dans son art de prestidigitateur, fut le génial pionnier et découvreur des trucages nouveaux que permettait cette technique. En comprenant les avantages pour son art du hors champ, de la possibilité d’intervenir sur une scène entre deux prises de vue, apparitions, disparitions, superpositions, objets qui s’animent, il a pu constater le caractère « magique » que la scène ainsi projetée produisait sur le spectateur. À sa suite, d’autres découvreurs, qu’on n’appelait pas encore réalisateurs, ont perfectionné et souvent inventé des techniques pour faire intervenir le merveilleux dans leurs films.
Pour ces pionniers, l’histoire s’est souvent montrée ingrate et les modes et les révolutions techniques ont plongé nombre de ces hommes et leurs œuvres dans l’oubli. Et c’est le travail patient et chanceux de passionnés qui a permis, dans des circonstances souvent rocambolesques, de retrouver et conserver ces bijoux qui n’ont rien perdu de leur puissance d’enchantement.
Quelle a dû être la surprise de Raymond Borde, responsable de la cinémathèque de Toulouse, en découvrant dans les années cinquante les films d’un illustre inconnu surnommé Bricolo. À cette époque, Borde rachetait cinq francs le kilo les bobines récupérées dans les cinémas forains. C’est dans le stock d’un gitan qu’il trouva des films burlesques où apparaissait un personnage lunaire, cousin oublié d'Harold Lloyd et de Buster Keaton. En plus de leur puissance comique et poétique, ces films avaient une singularité étonnante : à un moment inattendu de l’action, les objets s’animaient tout seuls. Bricolo, alias Charley Bowers, ne s’est pas contenté d’être l’inventeur de la peau de banane anti-dérapante, des œufs incassables, des arbres où poussent des chats. Ce démiurge ne pouvait pas faire moins que donner vie à ce qui n’en avait pas. Un moment de pure poésie onirique, sans cesse renouvelé, qui pourrait être à lui seul la raison et le prétexte de ce festival.
C’est ce qu’ont en commun les auteurs que nous présentons ici, ces Bricoleurs du Rêve pour qui le cinéma permet autre chose que la simple reconstruction, l’imitation de la réalité. En mêlant les techniques d’animation aux prises de vue réelles, ils nous transportent dans une autre réalité, celle de leur imaginaire que nous nous surprenons à accepter si facilement. Nous nous souvenons alors (nous le savions, enfants) que les chaises dansent, que les chaussettes parlent, que le portemanteau nous en veut peut-être et que les jouets se livrent la nuit des batailles sans merci. Il est rare, malgré la profusion d’images synthétiques à laquelle nous sommes exposés, de ressentir aussi intensément dans un film la possibilité d’une autre réalité, des choses derrière les choses. Comment nommer cette émotion, qu’on y croit ou qu’on s’en amuse, ce flottement, ce doute, ce rire subtilement mêlé d’inquiétude, cet émerveillement, cette liberté enfin ? Ne serait-ce pas, justement... comme dans un rêve ?